
Guérir de la Shoah ?
“C’est pas une maladie !”
Guérir pour pardonner ?
Guérir pour oublier ?
C’est un malheur irréparable, on ne peut pas en guérir.”
Ces questions, nous nous les sommes posées avant d’écrire. Guérir, ce n’est pas réduire la Shoah à une maladie, ni aller mieux pour ne plus en parler, encore moins d’oublier les proches disparus.
Guérir, tel que nous l’entendons, c’est un paradigme que nous avons tenté d’élaborer au cours de notre enquête, menée auprès de survivants, de descendants, d’historiens, de sociologues et de thérapeutes.
Au départ, “guérir de la Shoah” est une proposition thérapeutique de la psychologue Nathalie Zajde. Elle anime depuis 1990 un groupe de parole au Mémorial de la Shoah, destiné aux survivants des camps, aux anciens enfants cachés et à leurs descendants.
D’autres auteurs abordent l’idée de la guérison, mais jamais aussi explicitement. Ils parlent de “sortir du génocide”, de la nécessité de ne plus transmettre le traumatisme, de commencer à se définir plus largement qu’à travers le prisme de la Shoah, de sortir de l’état victimaire…
Dans l’album, nous définissons la guérison comme le processus de réappropriation de son identité et de son histoire d’avant et pendant la Shoah.
I - Guérir est une nécessité
Lors des fêtes de Pessah (pâque juive), nous nous souvenons que le peuple juif est sorti d’Egypte pour se libérer de l’esclavage.
Recoller les branches de l’arbre rompues
M. Gouevo, dans sa course pour retrouver les disparus, rencontre de nouveaux descendants de la famille…
Ensemble, ils cherchent et recoupent leurs informations.
Alors que chacune des branches de l’arbre généalogique avaient été rompues, Gouevo les a réunies. Un arbre rassemblé permet d’échapper au projet nazi d’éradication, et d’y mettre un terme.
Retisser les liens entre les générations
Dans le groupe de parole, Gouevo s’attache aux plus âgés du groupe, qui interviennent tout au long de l’album. Comme souvent dans les familles juives, on parle peu des récits intimes concernant la Shoah. Cette génération qui parle peu à leurs propres descendants
M.Gouevo est ému de les entendre, parce qu’il y voit ses grands-parents, et comprend mieux ce qu’ils ont vécu et n’ont pu dire. Dans ce groupe, se produit une alchimie particulière. Lorsque les plus jeunes parlent, souvent ils pleurent, sans bien savoir pourquoi, tandis que les anciens les consolent.
Guérir de la Shoah, c’est ne plus transmettre l’absence, renouer les liens entre les générations, souvent rompus ou distendus depuis.
Vivre avec ses réapparus
80 ans après, certains descendants sont “possédés” par des fantômes, des êtres dont on n’a jamais fait le deuil. La disparition soudaine de ces morts non morts hante encore les familles et ne leur permet pas d’envisager le monde comme propice aux enfants… et nous dépossédent d’une inscription généalogique.
Remettre un nom et un visage aux fantômes, c’est les faire réapparaître dans les familles, affronter les faits et les lieux, et se réapproprier l’histoire de la Shoah au-delà de la terreur sidérante qu’elle suscite.
Sortir de la définition de l’agresseur
Guérir d’un génocide, c’est ne plus se percevoir ni comme victime ni comme objet défini par l’assassin.
Si on recompose les mondes disparus, en allant puiser dans les livres d’avant, dans les contes traditionnels, dans la mémoire orale des aïeux, pour redensifier une culture ressentie par les descendant comme parfois“creuse” et “mortifère”, et empêcher l’histoire familiale de démarrer seulement à partir de la Shoah.
Si on affronte l’histoire de la Shoah, en recherchant parmi les archives (administratives, familiales, livres…) et les témoignages (historiques et familiaux), on peut identifier des récits constitués de pertes, de séparations, de privations, d’humiliation… et identifier la source historique des maux qui traversent les générations.
Si on fait le deuil de ceux qui sont morts en déportation, on peut lutter contre la disparition, et faire baisser le sentiment de terreur qui persiste… Tenter de passer de la mémoire traumatique vers un récit familial.
Alors on peut échapper à la définition et au statut de “victime éternelle”, tel que le projet nazi nous a désigné, pour redevenir des sujets. Libres.
II - Transmettre la mémoire autrement, c’est guérir collectivement, tous ensemble, Juifs et non Juifs.
Parle-t-on trop de Shoah ?
En 2003 paraissait dans le Nouvel Obs un article intitulé “Marre de la Shoah ?”. Depuis, l’écho de cette rengaine s’est largement amplifié, obligeant historiens et enseignants à repenser l’enseignement de la Shoah.
Remplacer le devoir de mémoire par le devoir d’Histoire.
L’expression “devoir de mémoire” pèse trop lourd sur les épaules. Elle oblige au lieu d’inviter.
Nous lui préférons le terme “devoir d’Histoire”, ou “devoir de transmission”.
La Shoah n’est pas l’affaire des Juifs, c’est une histoire collective
La Shoah est historiquement l’affaire de tous. D’abord, l’humanité a été abîmée par ce qu’elle a été capable d’infliger à une population. Ensuite, la Shoah a concerné toute personne vivant en Europe à cette époque. À moins d’habiter une zone très reculée, on ne pouvait vivre cette période sans savoir que le sort des Juifs était scellé.
Trois chercheurs l’ont parfaitement démontré dans le livre “Appartements témoins, la spoliation des locataires juifs à Paris, 1940-1946”. Isabelle Backouche, Sarah Gensburger et Eric Le Bourhis écrivent que de très nombreuses personnes étaient impliquées dans la spoliation des baux locatifs à Paris. Elles savaient l’avenir des Juifs déportés. D’ailleurs, dans des papiers officiels, on peut lire l’étonnement des nouveaux locataires face au retour des gens spoliés.
Plusieurs administrations, avec des fonctionnaires restés en poste après 45, ont organisé leur spoliation. Cela inclut un très grand nombre de personnes. A minima, on parle de 200.000 personnes uniquement sur Paris. De nombreuses autres personnes ont assisté, impuissantes, aux arrestations et molestations. D’autres encore ont choisi d’aider.
La Shoah a marqué l’ensemble de la population européenne, leurs descendants après eux.
Ne sommes-nous pas tous malades de la Shoah, juif ou non ?
Qui est à l’aise avec le sujet Shoah ? Il brûle les lèvres, il agace, on ne sait pas comment en parler : faut-il en dire plus ? Ou ne pas trop en dire ?
Le 7-Octobre a démontré la grande confusion entretenue sur Israël à partir des mots de la Shoah. Ce mésusage abusif global conduit à nazifier Israël et les Juifs. Or, cette nazification a une histoire et elle permet de comprendre d’où provient l’accusation de génocide, qui a été portée contre Israël, dès 1945, avant même la création du pays.