L’oncle et la tante de M. Gouevo ont été des enfants cachés. Comme ils avaient survécu, ainsi que leurs parents, circulait une phrase dans la famille pour résumer leur situation : “Pour nous, tout s’est bien passé.” 

Mais se cacher pour un enfant, de peur d’être tué, durant plusieurs années, a un impact considérable sur sa construction et sur celle de ses enfants à venir.

Ce livre rassemble des témoignages puissants pour comprendre à quel point la guerre a profondément abîmé toute la population juive d’Europe, sans exception, et pas seulement celle qui a été conduite vers les camps.

C’est l’une des bibles sur la transmission du traumatisme de la Shoah aux générations d’après. 620 pages à lire absolument, portant sur les tentatives de reconstruction des personnes directement touchées par la Shoah et leurs descendants.

Ce livre est très précis et méticuleusement documenté. Il est facile d’accès et aide à décrypter les aléas des trois premières générations. Un bijou.

La sociologue et historienne Sarah Gensburger, qui a rédigé la préface de notre BD, a notamment travaillé sur la spoliation des locataires juifs à Paris. C’est un volet moins connu de la persécution des Juifs, parce qu’on s’est toujours intéressé à la spoliation des œuvres d’art, plus spectaculaires, mais ayant touché moins de personnes. 

Ce livre qu’il faut lire absolument, co-écrit avec Isabelle Backouche et Eric Le Bourhis, est le résultat d’un travail titanesque de recoupement de plusieurs sources inédites d’information pour faire état de l’ampleur de la machine mise en oeuvre pour spolier les baux locatifs au profit des sinistrés de la guerre ou bien de ceux qui étaient dans les petits papiers de Vichy.

Ce livre marque aussi un tournant dans le récit national d’après-guerre. Oui, une très grande partie des Parisiens savait que les Juifs ne reviendraient pas des camps et n’a pas du tout apprécié le fait que certains reviennent et demandent à récupérer leurs appartements.

Cela a donné lieu à un déferlement de haine antisémite entre 1945 et 1946. Ensuite, l’appareil étatique, ainsi que le système judiciaire, ont fait perdurer la spoliation des appartements jusqu’en 1959.

Alors, ce livre-ci est aussi un bijou, parce qu’il lève le voile sur une réalité rarement étudiée. Paris, pendant la guerre, on se la figure comme une ville occupée, dans laquelle il fait toujours bon vivre et à part la rafle du Vel d’hiv, il n’y est pas question directement de guerre, de camps, ni d’extermination.

En réalité, au coeur de Paris, il y avait 3 camps d’internement qui ont permis de placer les Juifs dépossédés de leurs biens et de leur logement avant leur déportation vers Drancy.

Dans ces centres, les Juifs étaient forcés de trier et d’emballer meubles et objets pillés dans le cadre de l’opération Meuble et parfois, c’était leurs propres biens qu’ils devaient réparer et comptabiliser.

C’est notre Bible ultime. La psychologue raconte comment elle a “initié des groupes de parole d’enfants de survivants afin de découvrir si les terribles événements vécus par le peuple juif au cours de la Seconde Guerre mondiale avaient eu une quelconque incidence psychologique et psychopathologique sur ses descendants ; et si c’était le cas, de proposer aux survivants et aux descendants de victimes de participer à l’élaboration de dispositifs psychothérapiques adaptés.”

Ce livre publié en 2005 constitue un tournant dans la prise en charge des survivants de la Shoah et de leurs descendants, puisqu’il envisage leur rétablissement par la recréation d’un continuum de l’identité juive. 

Ce petit bijou de roman qui emprunte à la non fiction est sorti quelques jours après que nous ayons terminé “M. Gouevo”.

La patiente du jeudi nous embringue dans les méandres de son dibbouk, qui vient la hanter elle, 3e génération, alors qu’elle ne s’imaginait même pas juive, et qui la rappelle à l’essentiel : qui étaient ses ancêtres et qu’ont-il vécu pendant la guerre ? L’écriture est enlevée, légère et grave exactement comme Nathalie Zajde sait l’être, elle, la spécialiste des mots forts dits avec une profonde délicatesse teintée d’espièglerie.

On voudrait tous être Mona, son héroïne, pour s’allonger sur le divan et confier ses tourments à ce psychanalyste désemparé devant l’irruption de cette histoire taillée trop grand.

Pour l’historien Georges Bensoussan, le lieu de mémoire que constitue le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau convoque les émotions mais pas l’analyse des faits historiques.

Or, sans cette analyse, sans le rattachement d’Auschwitz aux histoires d’avant, comme celles de la Première guerre mondiale, par exemple, ce lieu de mémoire ne peut pas produire l’effet escompté, à savoir “plus jamais ça”.

D’autant qu’un lieu de mémoire, par définition, est une contradiction entre un pouvoir politique qui institutionnalise la mémoire et “la mémoire vivante” qui n’existe que par la “rébellion contre les pouvoirs et les comportements grégaires.”

Lorsque nous avons commencé la BD, nous parlions “Shoah” tout le temps. A table, en balade, au coucher.

À tel point que ce mot a fini par glisser de notre bouche à celle des enfants sans qu’ils sachent bien à quoi le mot renvoyait. Alors, il a fallu trouver un chemin pour leur expliquer ce que c’était.

Le livre de l’historienne Annette Wieviorka nous a permis de trouver les mots justes, sans trop en dire, sans omettre l’essentiel. Merci à elle.

Pour que l’enseignement de la Shoah continue d’être possible auprès d’élèves qui soulevaient le problème de la concurrence victimaire, le professeur d’histoire Iannis Roder a modifié sa façon d’enseigner, mettant la focale sur les bourreaux et leurs crimes, plutôt que sur leurs victimes.

Dans ce livre que nous avons adoré, Iannis Roder considère que la figure de victime paralyse et obstrue la pensée, que l’on soit descendant de victime, de bourreau ou de simple témoin, tandis que le fait de montrer le crime remplirait la mission de l’Histoire, à savoir empêcher que cela recommence.

A lire et à méditer.

Nous avons recueilli le témoignage de plusieurs survivants pour écrire M. Gouevo.

Or, comme l’explique très bien la psychanalyste Régine Waintrater, on ne collecte pas ces témoignages comme n’importe lesquels.

Qu’il s’agisse de rescapés de la Shoah, de Cambodgiens, de Tutsis ou bien de musulmans de Srebrenica, il se joue dans l’écoute des éléments qui nous échappent, comme un pacte tacite, qui impliquerait des questions non posées sciemment, par exemple. De même, les survivants témoignent parfois pour envisager une porte de sortie du génocide.

En transmettant leur récit à d’autres, ils se déchargent un peu de l’histoire qui les a portés jusque-là et ils demandent à l’autre de s’en emparer et d’assurer leur diffusion.

Balagan est un mot voyageur qui convient tout à fait à Monsieur Gouevo? Il veut dire “désordre”, vient de l’Empire ottoman, est passé par la Russie, et s’emploie aujourd’hui dans l’hébreu moderne.

L’universitaire Céline Masson et d’autres auteurs dont des artistes nous racontent que la génération Balagan est celle qui hérite des tourments de la 1ere génération, qu’elle ne sait pas bien quoi faire avec, si ce n’est poser des questions à la deuxième génération qui ne sait pas grand-chose, puis s’enfoncer dans les méandres des archives.

Monsieur Gouevo et sa mère tout craché !

Peut-on rire des Juifs ? Les Juifs le font eux-mêmes depuis des millénaires ! Oui, mais, à quel moment une blague sur les Juifs est-elle anti-juive ?

Au lieu de demander aux idiots du village Guillaume Meurice ou Blanche Gardin, lisez ce livre absolument génial, qu’il faut offrir à chacun des humoristes qui existent parce qu’il pose la question du rire et de la manière dont il peut faire grandir l’événement qu’il touche, autant qu’il peut l’amoindrir.

Le rire dans la Shoah, le rire sur la Shoah, le rire contre la Shoah, autant vous prévenir, vous allez réfléchir et ne serez jamais déçus !

Et si on percevait les Juifs comme Français à part entière et non comme une population à part ?

Si c’était le cas, la Shoah serait peut-être enfin admise comme une atteinte à l’intégrité de chacun des Français.

Autour de cette idée, nous avons plongé dans l’histoire des Juifs en France et du pourquoi elle a toujours été traitée à la marge dans l’enseignement général, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’expliquer la Shoah et la création d’Israël.

François Heilbronn, que nous avons longuement interviewé en amont de la confection de Monsieur Gouevo, met en pratique dans ce roman délicieux l’idée de réancrer les Juifs dans l’histoire de France. Il y raconte l’histoire d’un lointain aïeul médecin qui aurait sauvé Louis XV à l’agonie alors qu’il voyageait en Lorraine, région dont la présence des Juifs remonte au Moyen-Âge, a minima.

L’auteur fait le parallèle avec le traitement réservé à sa famille en 1944, dont une partie a été déportée par le convoi 77, aux côtés de deux membres de la famille de M. Gouevo.

Ce livre nous a permis de creuser l’idée que les Juifs faisaient tellement partie de la communauté française, sans pour autant en faire partie totalement, que la haine à leur égard ne pouvait être que du rejet de soi et de sa propre ambiguïté, pour celui qui l’exprime.

Il nous a permis d’envisager l’idée que la Shoah avait concerné tout le monde, puisque les Juifs étaient tout le monde, non identifiables parmi les Gentils. Que la Shoah avait tué la partie ambivalente de soi, mais que personne ne peut vivre amputé de cette ambivalence.

Également, le livre revient aux origines du mot “antisémitisme” et laisse à penser qu’il vaudrait sans doute mieux s’en débarrasser, pour faire place à d’autres acceptions comme “la haine anti-juive”, par exemple. On vous laisse découvrir pourquoi.